SOMMES-NOUS CHEZ NOUS?
Enrique Martínez LozanoLc 15, 1-32
Une parabole est susceptible de différents niveaux de lecture, tous légitimes, et non seulement ne s'excluent pas, mais se complètent mutuellement. C'est ce qui arrive avec ce que l'on appelle «le fils prodigue».
Dans un niveau littéral et historique, la parabole constitue une défense que Jésus fait de son comportement et de sa mission, face aux Pharisiens et aux théologiens officiels du judaïsme. En plein débat avec eux, Jésus appuie l'amour gratuit de Dieu, face à celui qu'eux-mêmes -représentés dans le fils aîné- se sont enfermés, tandis qu'ils semblent être ceux qui ont toujours « accompli » et ne se sont jamais déviés.
Sur le plan théologique-théiste, le récit apparaît comme une catéchèse sur Dieu, dont la révélation constitue l'objectif de la parabole. Jésus affirme que Dieu est Amour compassif et Grâce inconditionnelle. Tant le fils cadet, qui se croyait éloigné de lui, comme l'aîné, qui reste à la maison, mais avec un cœur amer et durci, ils reçoivent la même offre accueillante: la fête de la rencontre. Au premier, qui voulait trouver le bonheur dans la fuite, on lui offre tout ce qui le réhabilite et l'affirme dans sa dignité et sa valeur; au second, qui vit dans le reproche et l'amertume, on lui manifeste quelque chose d'étonnant, sur quoi il ne semble pas avoir remarqué: "Tout ce que j'ai est à toi».
Sur le plan psychologique-symbolique, les deux fils représentent deux dimensions de toute personne: l'angoisse qui conduit à rechercher le bonheur loin et hors de la «maison», et l'image qui fait vivre dans le paraître et dans l'accomplissement pour éviter quelque possible «punition» du surmoi. Ce n'est que dans la mesure où nous reconnaissons en nous-mêmes ces mouvements, et nous sommes capables de les accepter humblement, dès la vérité de qui nous sommes, que nous serons en mesure de progresser vers une intégration psychologique saine.
Sur le plan spirituel-transpersonnel, enfin, les trois figures de la parabole reflètent, aussi bien les mouvements superficiels de l'ego, comme l'identité profonde qui nous constitue. Le « fils-cadet » est l'ego ignorant et avec carences: il n'a pas trouvé sa propre maison et ne se reconnaît pas en qui il est. "Il a besoin" d'échapper - sous l'appeau du bonheur qui situe loin et dans l'avenir-, pour pouvoir apprendre. La crise vécue -sans travail, sans nourriture, sans relations, dans la situation la plus servile imaginable (pour un Juif, élever des cochons c'était la ce qui avait de plus impur qu'on pouvait penser) – lui ouvrira les yeux pour prendre le chemin de la connaissance de soi et du retour à la «maison».
Le «fils aîné» est l'ego, tout aussi ignorant, à l'abri derrière l'image perfectionniste et exigeante, grâce à laquelle il espérait obtenir une reconnaissance («un cabriot ») sur laquelle s'affirmer. Bien qu'apparemment il n'a jamais quitté la maison et a toujours «accompli son devoir» comme un «bon fils», il méconnaît entièrement son identité et sa «maison».
Son autoexigeance a fini par empoisonner sa vie dans le ressentiment, qui s'exprime dans le jugement contre son frère et le reproche contre son père. C'est un ego plus «dangereux»: en effet, tandis que le fils cadet se laisse embrasser, nous ne savons même pas si l'ainé est rentré à la fête. L'image de celui qui ne reconnaît ni accepte son ombrage contamine d'amertume aussi ien sa propre vie que les relations et la coexistence.
Le «père» est notre véritable identité; d'où notre «maison» et notre bonne place. Lorsque nous sommes loin de qui nous sommes, nous vivons dans l'inconscience et dans la souffrance de celui qui «fuit» ou qui «accomplit»; dans les deux cas, de celui qui ignore qui est en vérité. Le «père» est le Je Suis universel, l'identité partagée, au-delà des formes égoïques qui apparaissent à la surface. Cette identité est Amour, Grâce, Compassion et Fête. Nous n'avons rien d'autre à faire dans cette vie que nous évéiller à elle: le reste sera sa conséquence, "tout nous sera donné en plus", a dit Jésus lui-même.
Tant que nous ne nous reconnaissons pas dans notre notre véritable identité, et nous restons dans la croyance que nous sommes un je (moi) separé, nous ne réussirons pas à échapper à un terrible paradoxe: nous voulons posséder des choses parce que nous nous croyons étranges à elles, alors qu'en fait, nous sommes tout ("Tout ce qui est à moi est à toi »).
Nos attachements t nos craintes ne sont produits que par la perception erronnée et auto-limiteuse de qui nous sommes. Enfermés dans l'idée du je (moi), nous avons oublié notre véritable identité, illimitée et originelle. Il n'est pas étonnant que, aussi bien les traditions de sagesse que les traditions spirituelles, aient insisté sur la priorité de la connaissance de soi - «connais-toi toi-même", connaît ta véritable identité (qui n'est pas le je (moi) – comme le seul moyen de sortir de l'erreur et de la souffrance.
Enrique Martínez Lozano
Traducteur: María Ortega