TOUT PASSE, LA VIE EST
Enrique Martínez LozanoLc 7, 11-17
La compassion est, avec la gratuité, la colonne vertebrale du message de Jésus. Et ce n'est que de l'autre face de la sagesse ou de la compréhension. La personne qui «voit» est compassive, ainsi que la pratique compassive est un chemin sûr pour la vision.
Le texte d'aujourd'hui traduit l'originel grec comme «pitié» -au goût du traducteur-, mais le sens reste le même: splagchnizomai signifie "s'émouvoir dans les entrailles" face à la douleur et offrir une aide efficace dans la mesure des possibilités.
La compassion n'est pas un sentiment superficiel, passager ou paternaliste. C'est la capacité de sentir comme l'autre ressent, en se mettant à sa place, en essayant de voir les choses comme il les voit.
Donc, la compassion, signifie aussi la capacité d'apporter amour là où il y a de la douleur.
Ne déplaise à notre curiosité, il est impossible de savoir quel est le fait historique qui se trouve derrière le texte que nous comentons ici. L'évangile est toujours «évangile» et non pas "chronique journalistique". Ça ne nous sert pas beaucoup non plus savoir ce qui s'est passé vraiment et comment la tradition posterieure a «agrandi» et enrichi le récit jusqu'à devenir la catéchèse que nous lisons aujourd'hui.
Lu comme «évangile», le texte nous parle de réalités radicalement humaines: la douleur, la mort, la vie et la «visite» de Dieu.
Douleur et mort -avec la naissance et la maladie- renvoient à l'impermanence de toutes choses. Tout ce que nous avons, le je (moi) y compris, est soumis à la loi de la fugacité. Tout cela passera et finira par disparaître: tout ce qui naît doit mourir, dans les deux faces de notre réalité manifeste.
C'est pourquoi, dans la mesure où nous y sommes attachés, la souffrance sera inévitable. C'est clair que nous sommes des êtres qui sentons, et en tant que tel, nous éprouvons la douleur quand une personne aimée meurt, ou lorsque il nous arrive quelque sorte de perte. Il est inévitable, et cette douleur fait également partie du lot de notre existence. Mais la douleur devient souffrance inutile seulement dans la mesure de notre attachement.
Attachement est l'opposé à liberté. Et cela suppose identification avec le je (moi). Celui qui s'attache c'est toujours le je (moi), parce qu'il ne peut pas vivre autrement. Parlant avec plus de précision: le je (moi) n'est qu'une fiction; et c'est justement la sensation d'attachement qui nous amène à croire à l'existence autonome de ce quelque chose que nous appelons "je (moi)".
Si la douleur et la mort nous ont mis dans la fugacité, la vie nous conduit à notre vérité la plus profonde. Parce que la vie n'est pas "quelque chose" à part, que nous pouvons ou pas, avoir et, pour cela même, perdre à un moment donné.
La vie n'est pas "quelque chose" que nous regardons «du dehors», comme notre esprit nous fait croire, qui, par sa propre nature, ne peut que tout voir comme un objet séparé.
La réalité c'est que nous ne pouvons pas être autre chose que Vie. Et ce que nous sommes c'est la seule chose qui demeure: ça ne mourra jamais parce que jamais est né.
Alors, en quoi consiste la sagesse? À comprendre (ou «voir») que nous ne sommes pas le je (moi), mais la Vie, sans aucune sorte de limite, frontière ni séparation. En percevant ainsi notre véritable identité, c'est quand nous nous rendons compte que je suis, en fait, tout autre, un quelconque "tu" que je rencontre, et que tout visage reflète mon visage: tous les êtres sont le reflet de la Vie .
C'est ce que Jésus a vécu et a enseigné: «Je suis la Vie » (Jn 11:25), il proclamait. «Je me dessaisis de ma vie pour la reprendre ensuite. Personne ne me l'enlève mais je m'en dessaisis moi-même; j'ai le pouvoir de m'en dessaisir et j'ai le pouvoir de la reprendre »(Jn 10,18).
Ce que nous appelons «Vie» est l'un des manières par lesquelles nous pouvons nommer «Dieu». Dieu est tout ce qui est et qui se manifeste en tout. Tout comme nous ne pouvons pas nous percevoir séparés de la Vie, il n'y a pas non plus aucune "distance" par rapport à Dieu. Vie ou Dieu n'est que l'essence Même Unicité de tout ce qui est, le noyau qui nous constitue, et nous fait nous reconnaître en tout ce qui se présente devant nous.
Enrique Martínez Lozano
Traducteur: María Ortega