LA PROPOSITION DE SE DONNER AUX AUTRES N'EST PAS ACCEPTEE
Fray MarcosJn 6, 1-15
CONTEXTE
La liturgie du cycle B insère le chapitre 6 de Jean à partir de ce dimanche. Nous le lirons en entier, il est le plus long et le plus dense de tous les évangiles et il va nous occuper cinq dimanches. Au long de ses 71 versets, partant de la multiplication des pains et des poissons, il élabore toute une théologie du disciple. Il s'agit au fond d'un processus d'initiation catéchétique qui durait plusieurs années dans la réalité et qui obligeait au final à prendre une décision définitive : le baptême.
L'évangile de Jean a été écrit par des initiés et pour des initiés. Il est évident que tous comprennent les signes et les images sans cesse utilisés. Vous le savez bien que cet évangile est complètement ésotérique. Il est tout imprégné par la numérologie, la cabale, le tarot. Les 22 chapitres de l'évangile correspondent aux 22 cartes du tarot. La 6° (l'amoureux) représente un jeune homme à un croisement de routes, devant deux jeunes filles. L'une, vêtue de jaune et de vert, représente la vie des sens. L'autre, en bleu, la vie spirituelle. Le jeune homme se voit dans l'obligation de choisir l'une des deux routes.
EXPLICATION
(Si vous désirez approfondir le thème, lisez le commentaire de l'évangile de Jean, de J. Barreto et J. Mateo).
« La montagne » est le lieu où habite la divinité. Jésus est monté au lieu qui est le sien. Etre assis symbolise le fait d'enseigner, comme les rabbins.
« La Pâque était proche » n'est pas un fait chronologique, mais théologique. Les gens ne montent pas à Jérusalem, comme ils y étaient obligés, mais ils recherchent en Jésus la libération que le temple est incapable de donner.
L'argent a une signification profonde. L'argent est ce qui avait poussé Dieu hors du temple et qui, utilisé par le système oppresseur, est la cause de l'injustice et de la faim. Acheter du pain est obtenir un bien nécessaire à la vie, en échange d'argent inventé pour dominer. Le vendeur dispose de nourriture; il ne la cède qu'à certaines conditions dictées par lui. La vie n'est pas à la portée de tous, mais conditionnée par ceux qui détiennent le pouvoir. Jésus n'accepte pas ce type de structure, mais il veut savoir si ses disciples l'acceptent. Philippe ne voit pas de solution. Deux cents deniers était le salaire de plus de six mois de travail.
André montre un autre horizon possible ; une solution différente de l'achat. Il parle des pains et des poissons qu'il découvre, comme de quelque chose dont on peut disposer. Le jeune garçon (« muchachito », double diminutif) représente le groupe insignifiant des disciples.
Les chiffres sont des symboles. 5 + 2 = 7 indique la totalité. Tout se met à la disposition des autres. En disant que ce sont des pains d'orge, il met en relation cet épisode avec celui d'Elie ; mais il souligne une grande différence : ce dernier nourrit cent personnes avec vingt pains. Jésus donne à manger à cinq mille personnes avec cinq.
De toute façon la proposition d'André est inutile. Il n'y a pas les moyens suffisants.
Manger allongé signalait des hommes libres. Jésus veut que tous se sentent des personnes avec leur responsabilité propre. Il ne veut ni servitudes ni dépendances d'aucune sorte. Il pointe ici la fausse interprétation du signe.
« L'endroit » (avec article déterminé) était la formule par laquelle se désignait le temple. Maintenant Dieu n'est pas dans le temple, mais là où se trouve Jésus. L'herbe abondante, signe de l'abondance des temps messianiques.
« Il dit l'action de grâces » (eucharistèsas = « après avoir rendu grâces »). Ce fait est très riche. Il s'agit de relier la nourriture avec le climat du divin (les synoptiques parlent de lever les yeux au ciel). On reconnait que la nourriture est don de Dieu pour tous ; un être humain ne peut se l'approprier pour tirer ensuite profit de sa vente. Une fois réalisée la libération de l'accaparement égoïste, tous auront accès à ce bien nécessaire.
On dépasse sa finalité première qui est d'alimenter et le niveau s'élève pour le convertir en signe de Vie. Il n'y a qu'à ce nouvel espace éloigné de l'égoïsme que le partage est possible.
« Ramassez les morceaux qui restent » Ce « reste » n'a pas le sens de reliefs ou de gaspillage, mais de surabondance. La Didachè appelle le pain eucharistique les « morceaux » (klasma).
Ils doivent les recueillir parce que la communauté doit continuer l'œuvre de la distribution. Autre différence importante avec l'expérience de l'Exode. La manne ne durait pas d'un jour sur l'autre, ce qu'offre Jésus a une valeur permanente et il faut en prendre soin.
Rappelons-nous que dans les Actes, l'eucharistie est appelée « la fraction du pain ». Ce n'est pas « du » pain, mais le pain partagé.
« Ils remplirent douze corbeilles ». Ce « douze » ne se réfère pas aux apôtres. Chez Jean, on n'identifie pas les disciples avec les 12. Il est plus probable qu'il soit fait référence aux douze tribus d'Israêl, comme symbole de tout le peuple qui avait accompagné Moïse dans le désert.
Le prophète qui devait venir dans le monde était annoncé en Dt 18-15.Il s'agit d'un prophète comme Moïse qui accomplirait les mêmes prodiges que lui. Ils ne reconnaissent pas la nouveauté de Jésus. Ils continuent à croire en un salut venu du dehors, comme dans l'Ancien Testament. Plus tard une claire distinction s'établit entre l'aliment que leur donne Jésus et la manne.
Le désir de le faire roi montre qu'ils n'ont rien compris. La multitude est satisfaite d'avoir mangé. L'identification avec Jésus et son message ne les intéresse pas. Leurs intérêts sont bien loin de l'attitude de Jésus.
Jésus veut les libérer, eux préfèrent continuer à dépendre d'un autre. Jésus leur demande la générosité, eux préfèrent recevoir gratis. Jésus veut les associer à son œuvre, eux veulent se décharger sur un chef de leur responsabilité.
La solution n'est pas l'argent ou un miracle extérieur, mais savoir partager tout avec tous. Le véritable salut n'est pas dans le fait que quelqu'un solutionne nos problèmes. La libération consiste à dépasser l'égoïsme et être disposé à donner aux autres ce qu'on a et ce qu'on est.
« Il se retira à la montagne, tout seul ». Quelques manuscrits disent qu'il « s'enfuit » à la montagne. Jésus monte vers le haut, alors que les disciples descendaient... Devant la totale incompréhension des gens, Jésus n'a pas d'alternative, il retourne à la montagne (lieu de la divinité).
Complètement seul, comme Moïse après que le peuple ait trahi son Dieu se fabriquant une idole. Ce parallèle avec Moïse montre la gravité de de qui s'est passé. A faire de Jésus un Messie puissant, ils répètent l'idolâtrie des Israelites au désert. Tous deux veulent adorer Dieu, mais sous la fausse image (idole) qu'ils se sont faits de Lui.
APPLICATION
L'argent est encore aujourd'hui la cause de toute inégalité. Tout a un prix, y compris les biens spirituels. La gratuité et le partage sont des concepts qui ont disparu de notre société.
Nous connaissons bien l'alternative ; nous sommes toujours au croisement, mais n'avons pas encore pris de décision. Nous n'avons pas conscience que ne pas prendre le chemin spirituel, c'est déjà nous laisser emporter par l'hédonisme. La recherche du plaisir à n'importe quel prix est la tonique de notre société. Dans le meilleur des cas, nous nous obstinons à marcher en même temps par deux chemins opposés.
Jésus est parvenu à échapper à la prétention de ces gens, mais à nous il n'a pu échapper et nous l'avons proclamé roi (Roi de l'univers).
Chacun de nous doit examiner les raisons qui nous maintiennent unis à Jésus. Pourquoi sommes-nous chrétiens ? Pourquoi venons-nous à la messe ? Je vais vous le dire : pour nous assurer ses faveurs ici-bas et en plus nous garantir une éternité bienheureuse dans le ciel. Comme les choses ont peu changé ! Nous aussi nous continuons à ne rien vouloir savoir du service et de l'engagement envers les autres.
Nous essayons toujours de mettre le spirituel au service du matériel, qui est en vérité ce qui nous intéresse. Ce que Dieu veut pour nous ne nous intéresse pas, mais ce que nous attendons de Dieu. La vision transcendante de la vie ne nous importe pas, mais que le Tout Puissant se mette à notre service.
Si nous tous qui nous appelons chrétiens commencions à partager comme Jésus nous le demande dans l'évangile, il se produirait la plus grande révolution de l'histoire humaine. Si nous attendons pour partager d'avoir satisfait tous nos besoins, nous ne partagerons jamais rien, parce que la technique du capitalisme hédoniste est justement d'augmenter les besoins au fur et à mesure qu'ils sont assouvis.
Texte de Fray Marcos
(Trad. Maurice Audibert)