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La Nuit de la Saint-Sylvestre, le Nouvel An, les douze coups de minuit, les raisins (coutume selon laquelle le 31 décembre on mange un grain de raisin à chaque coup de cloche), les toasts, les galas m’émeuvent bien moins que le sourire d’un enfant ou d’une grand-mère, ou la gracile bergeronnette ou hochequeue qui vient tous les jours picorer les mies de pain sur mon balcon. La table de chaque jour ou un son de cloche ordinaire m’émeuvent bien plus.

Mais je comprends l’excitation des gens à l’occasion de certaines dates précises. La vie serait plus triste sans rites, sans ces moments, ces lieux et ces gestes symboliques capables d’illuminer, ne serait-ce qu’un instant, la routine de la vie, capables de faire jaillir une étincelle dans notre cœur, de nous transporter au-delà, d’alimenter notre espoir, de nous réveiller à l’Infini bon. Capable enfin de nous encourager à étrenner la vie. Le motif et la forme ne sont qu’accessoires.

Bienvenue donc, Nouvelle Année 2020, quand bien même nous savons que tu n’es pas arrivée et que tu ne partiras pas, que tu n’es qu’une simple convention de nos cultures et que tu n’existes que dans nos calendriers. Ton identité est arbitraire comme celle de nos étalons de poids et de mesures, nos frontières et grammaires, toutes nos doctrines et dogmes, bien que les messieurs de l’orthodoxie ne le sachent pas encore. C’est comme s’ils ignoraient que le solstice d’hiver à Rome correspond au solstice d’été à Lima. Il en est ainsi avec tout ce que nous croyons, pensons et disons. Aussi, les Chinois fêtent-ils ton arrivée le 25 janvier, les juifs le 19 septembre et les musulmans le 19 août ; tu seras l’an 4717 du premier calendrier pour les Chinois, le 5781 de la création du monde (!) pour les juifs et le 1442 de l’hégire ou « départ » de la Mecque pour les musulmans.

Mais sois le bienvenu, Nouvel An, quel que soit le nom que nous te donnions, artifice, aussi ingénieux qu’ingénu, construit par notre esprit, afin d’apprivoiser l’énigme du temps et de l’espace ou celui du mouvement de la lumière et des astres, l’énigme d’un univers ou d’un multivers sans centre ni commencement ni fin qui nous entraîne dans sa vitesse vertigineuse, dans son calme infini. Nous, ces êtres merveilleux et insignifiants, habités d’inquiétude et de paix, nous avons besoin de toi, Nouvel An, pour pouvoir dire : nous ne sommes pas perdus, nous avons un centre et un horizon, nous sommes là, hier je suis né(e) à nouveau, demain sera un jour de fête, aujourd’hui c’est aujourd’hui et cela me suffit, je peux respirer. Je peux commencer.

Comment commencer chaque jour ? Telle est la grande question. Mais nous ne pouvons pas omettre de nous interroger sur quelque chose autre qu’une simple curiosité superficielle : Comment a commencé cet univers visible, vieux de 14 000 millions d’années, ainsi que d’autres univers, s’ils existent ? Toutes les philosophies et les religions ont voulu le savoir ou, du moins, avouer leur ignorance et la fonder sur le Mystère. La formule « Au commencement », se répète dans leurs mythes. « Au commencement il n’existait ni l’Être  ni le Non-être », peut-on lire dans un poème védique hindou d’il y a 3 500 ans. « Le Non-être décida alors d’être, il se fit Esprit, se chauffa [désira l’altérité, aima], et de cette chaleur naquirent le feu et la lumière ». Le Non-être, en disparaissant comme tel, devint Esprit. L’Esprit, en se vidant pour l’amour d’autrui, devint lumière. Et de la lumière invisible surgit le monde visible des formes. Ce sont des métaphores de l’indicible.

Dans la Bible juive, 1 000 ans après, l’on dit : « Au commencement, Dieu créa le ciel et la terre. La terre était une solitude chaotique et les ténèbres recouvraient l’abîme, tandis que l’Esprit vibrait sur les eaux. Et Dieu dit : Que la lumière soit. Et la lumière fut ». Il expira et il fut. Il vibra et fut. Il dit et fut. Il sortit de lui-même et fut. L’Esprit, la Parole, le sortir de soi est l’énergie créatrice originaire, le commencement de l’Être. L’Infini se retira pour faire place au monde, dira la Kabbale. Comme la mer qui, en se retirant, crée la plage.

Et que dit la science, dans son langage de la mathématique ? La physique de l’immensément grand et de l’immensément petit ne semblent pas encore tout à fait compatibles, mais ils coïncident en quelque chose : l’atome tout comme l’univers sont emplis de vide, de « Néant ». Mais d’un vide ou d’un « Néant » qui n’a rien de néant : c’est un pur champ d’énergie, de magnétisme, de vibration, de relation, de radiation. De force créatrice. De lumière. Tout commença et commence dans la lumière du vide. La Parole – appelons-la Esprit ou énergie – était la vraie lumière, nous dit l’évangile de Jean, et la Parole se fit chair. Voilà ce que nous sommes : Parole ou Esprit ou Lumière invisible transformée en forme visible : masse, matière, chair vivante, sensible, consciente.

Comment commencerons-nous à l’être chaque jour, à vivre réellement ? En nous libérant de la peur, de la cupidité, de la possession et de la domination. En nous libérant de l’ego, en revenant au « néant », au vide créateur, à l’Un originaire, à la relation magnétique, à l’amour, au souffle que nous sommes.

Je veux recommencer chaque jour.  Je veux confier à nouveau chaque fois en toi et en moi, en la Terre Mère et en notre pauvre espèce, à peine encore éveillée à la possible humanité fraternelle. En confiant et en surmontant la peur, je ferai que Dieu ou la Lumière, l’éternelle flamme de la Vie qui maintient et renouvelle sans cesse tout ce qui est, s’incarne et se déploie.

 

José Arregi

(Publié le 5 janvier 2020 à DEIA et dans les quotidiens du Groupe NOTICIAS)

Traduit de l’espagnol par Edurne Alegria

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