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Libro de la biblia

* Cita biblica

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Fecha de Creación (Inicio - Fin)

-

DORIS

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Moïse ne s'explique pas sans le buisson ardent, et Doris non plus. Le buisson ardent de Doris est la petite communauté chrétienne de son quartier, à Resistencia, dans le Chaco argentin, là où la Parole du Dieu de la Bible semble avoir planté sa tente. Une magnifique étincelle a jailli soudain du feu de cet humble buisson, elle est tombée dans le cœur de Doris et l'a transformé en flamme.

En voyant Doris s'amouracher de la Bible, son père, socialiste et athée - comme Dieu les aime -, vient près de succomber à un infarctus. Mais la seule chose qui importe pour la fille c'est de vivre la Parole. Cela la mène tout droit à deux coins de rue de sa maison, au petit bidonville d'une lagune fétide infestée de dangereuses perches aux dents pointues. En cet endroit où le pauvre est celui qui est toujours de trop, Doris, jour et nuit, regarde, écoute, console, encourage, soutient, défend, accompagne. Elle ne peut rien donner car elle ne possède rien, sauf elle-même. C'est donc avec son être tout entier qu'elle va se donner à ces braves gens.

En formant équipe avec des personnes solidaires du quartier, elle réussit à convaincre les gens de la lagune de se prendre en main. Ensemble ils créent leur propre organisation, font reconnaître légalement les petits bouts de terrain qu'ils habitent, jettent les bases d'une coopérative d'habitation, enfin, après une ou deux années de gros labeur, tout ce petit monde est en marche et n'a plus besoin de béquilles.

Alors Doris décide de se faire religieuse. Cette fois, son père veut mourir, mais rien n'y fait. Elle persiste dans son projet. Elle cherche seulement à donner des assises solides à sa foi tout en terminant ses études de Droit. Elle entre au couvent et y met tout son cœur. Mais au bout de deux ou trois ans, elle en assez. Pressée de retourner dans le monde de ses amis, elle s'envole vers les montagnes de Bolivie pour atterrir dans un vrai nid de condor à 4000 mètres d'altitude. À partir de ce jour elle aimera se donner avec humour le surnom de « petite chèvre de montagne ». Là elle va partager avec trois jeunes religieuses d'une autre communauté la vie extrêmement rude et le travail très pénible des paysans Kollas de cette région.

Elle se fusionne aux gens, revêts les nippes typiques des femmes du pays, ramasse ses cheveux en une immense tresse qui se balance sur son dos, et elle engouffre sa tête jusqu'aux yeux sous le traditionnel chapeau de feutre qui les caractérise. Tous les jours, avec ces braves gens reconnus pour leur acharnement au travail, Doris se dédie à la culture de vastes champs de patates. Elle vit comme tout le monde dans une hutte d'adobe avec toit de paille. Elle veut, de cette façon, rendre témoignage que Dieu est Kolla aussi.

Chaque semaine, Doris descend à la course à la grande ville voisine, se débarrasse de son accoutrement de paysanne, et vole porter de l'aide juridique à un bruyant syndicat de travailleurs empêtré dans une grève qui n'a pas de fin. Pour manger elle vend des petits pains dans la rue ; la nuit, elle dort sur un banc de la gare.

Beaucoup de chrétiens qui ont une très haute opinion d'eux-mêmes, sont convaincus que la lutte pour le salaire juste, pour la terre et pour le pain, pour la santé, l'éducation et le logement, n'a rien à voir avec la religion. Le bon prêtre missionnaire du « nid de condor » de Doris, excellente personne par ailleurs, est l'un de ceux-là. Un jour, agacé par les critiques des personnes influentes qui n'en peuvent plus de voir les sœurs défendre les pauvres, il met Doris et ses compagnes au pied du mur : ou elles consentent à se consacrer exclusivement à la liturgie et à la catéchèse, ou elles déménagent ailleurs. Doris choisit de déménager.

Sa Communauté religieuse lui offre le Sahara... Doris plie bagage et prend la longue route qui mène aux sables de la Tunisie. À peine arrivée sur les lieux, elle est fascinée par les Bédouins du désert et ne tarde pas à se faire nomade avec eux. C'est l'alarme au couvent. Les sœurs ont une peur noire que Doris se fasse musulmane. Elles lui demandent de couper ses liens avec les Bédouins et de se consacrer sagement à un service moins risqué à l'intérieur de l'institution. Il n'en faut pas plus pour que notre Doris saute de nouveau dans l'avion et rebondisse encore en Bolivie.

C'est ainsi que prend fin pour toujours le rêve de vie religieuse de notre éternelle novice. Elle continuera à vivre désormais comme laïque engagée, ce qui est déjà assez.

Elle frappe à la porte d'un humble évêque de son pays d'adoption, heureux de lui confier la charge pastorale d'une communauté abandonnée dans le coin le plus reculé de son diocèse. Tous les problèmes propres aux groupes humains qui ne trouvent pas de place pour eux sur la planète, se sont donné rendez-vous dans ce gros village moitié quechua moitié guarani, où cambas, kollas et créoles font plus ou moins bon ménage. Pour Doris le défi est grand, mais plus la montagne est haute, plus « la petite chèvre de montagne » est contente.

Chaque jour, Doris consacre de longs moments à la Parole de Dieu. Le dialogue avec la Parole est vital pour elle ; c'est là qu'elle recrée son être et qu'elle nourrit à celle du Ressuscité la flamme qui brûle son cœur. Son ardent désir de cheminer aux côtés du peuple des petits lui vient de là. Elle rit, pleure, lutte, danse le carnaval avec le peuple. Elle passe des fêtes aux veillées funèbres puis court de la gare de chemin de fer à l'aéroport des grands propriétaires terriens pour aller vendre ses « empanadas » et ses confitures à la papaye verte. Cet après-midi, elle se fait enseigner les rudiments du guarani par une vieille grand-maman, ce soir elle brassera des idées sur la réforme constitutionnelle avec quelque leader politique. Demain ce sera autre chose. Sa vie n'est pas ordonnée, pas programmée ni tranquille. Son agenda se fabrique en marchant au jour le jour avec les gens du peuple. Elle écrit à ses amiEs: "Ma loi, c'est l'histoire que ce peuple écrit aujourd'hui, et moi je coopère à cette création avec eux ».

En plus d'être couturière, professeure de couture, vendeuse de petits produits faits de ses mains et promotrice populaire de la santé, elle travaille à la formation de catéchètes, anime des groupes de jeunes, organise des sessions d'initiation à la Bible et cultive en tout temps l'amitié avec tout le monde.

Mais, plus elle s'efforce de semer l'amour et la bonne entente dans le village, plus elle se trouve attrapée dans des querelles où force lui est de prendre position en faveur des plus faibles contre ceux qui abusent d'eux. Elle se fait donc des ennemis qui aimeraient bien se débarrasser d'elle, mais elle ne leur fera pas ce plaisir.

Elle consacre la plus grande partie de son temps à un groupe de femmes pauvres comme elle, qui ne savent pas qu'elles sont la plus grande force de la création. Dans ce champ en friche, Doris ouvre des chemins nouveaux. Bientôt un grand réveil s'opère dans la conscience de ces courageuses compagnes et se répand chez un très grand nombre de femmes de la population.

Des années passent, puis vient le moment où celle qui a donné des ailes à la communauté doit s'effacer de nouveau pour que la communauté s'habitue à voler par elle-même. Une fois de plus, Doris prend son baluchon et part sans faire de bruit, cette fois, vers Paurito, un autre gros village, situé à quelque 40 Km de la ville de Santa Cruz.

Le seul gagne-pain des habitants de Paurito est lié à la confection de chapeaux en fibres de palmes de saó; ces chapeaux traditionnels sont très populaires dans la région et dans tout le pays. Mais court le bruit que ces terrains de propriété municipale où les fabricants de chapeaux font leurs provisions de fibres de saó pourraient être privatisés d'un moment à l'autre. Un bon matin, le village découvre avec stupeur qu'une grande partie de la plantation de saó a été clôturée. Les nouveaux « propriétaires » venus de Santa Cruz sont surpris en train de mettre la hache aux palmiers de saó afin d'aménager un pâturage pour leur bétail. Sans fusils, sans machettes, sans bâtons, sans cailloux, tout le peuple accourt sur les lieux, Doris en tête, pour barrer le chemin à ces prétendus nouveaux propriétaires. On discute, on se bouscule, les saoïstes sont désespérés. L'arme préférée des adversaires est de dénoncer Doris comme « terroriste ». Ils l'accusent d'avoir fait de l'église du village une cellule du MAS1 et d'être impliquée dans le trafic de drogue. Les insultes pleuvent et vont jusqu'aux menaces de mort.

Mais la communauté des saoïstes serre les rangs autour de Doris. Elle la protège, la garde, la défend et ne la laisse pas d'une semelle. On ne lui permet même pas de prendre une seule bouchée de pain sans que quelqu'un du groupe y goûte d'abord, tant on craint qu'elle soit empoisonnée.

Grâce à l'appui de l'Institut national de Réforme Agraire, du Ministre de l'Agriculture et grâce aussi à la remarquable intervention de personnes solidaires de l'Argentine, Doris et sa communauté de Paurito réussissent à faire présenter au Congrès de la Nation un projet de loi qui assurerait la protection du palmier de saó. Qu'on le croie ou non, le projet est approuvé en un temps record et le nouveau Président de la République, Evo Morales, se déplace personnellement jusqu'à Paurito pour remettre en mains propres à la communauté des saoïstes la nouvelle Loi de Protection du Palmier de Saó.

Pendant qu'on en est encore à savourer cette extraordinaire victoire, Doris fait face à un nouveau défi. Elle trouve chez les nombreux paysans qui vivent comme des exilés dans leur propre pays un autre problème majeur auquel consacrer son temps et son amour. Quand on découvrira que le droit à la terre est un droit naturel et que, depuis Abraham, ce droit est béni de Dieu, le combat pour que les paysans deviennent les propriétaires légaux de la terre qu'ils cultivent se transforme pour les gens de Paurito en une véritable histoire du salut. On se mobilise donc de nouveau derrière Doris pour passer à l'action.

L'affrontement avec les grands propriétaires fonciers, ceux-là mêmes qui, au cours des années se sont emparés par la force ou la corruption de la plupart des terres de la région, est inévitable. La lutte est inégale. Les puissants propriétaires reprennent de plus belle la campagne de diffamation contre Doris dans le but de lui faire perdre tout crédit aux yeux des paysans. On l'accuse d'être une simple marionnette d'Evo Morales, le « dangereux communiste» devenu Président du pays, qui se servirait d'elle pour s'emparer des terres des gens honnêtes et les garder pour lui.

Malgré cela, le processus juridique est mis en marche et, après de très longs mois de débats et d'insupportable tension, il finit par aboutir de façon très positive. Des centaines de titres de propriété sont finalement distribués aux paysans et Doris est encore vivante, preuve évidente que les miracles existent... Cet exploit fait suite à une campagne antérieure où une infinité de documents d'identité avaient été remis à une foule de personnes dont l'existence jusqu'alors n'était pas reconnue officiellement.

Doris a continué à se donner sans compter à la communauté de Paurito jusqu'au jour où sonna pour elle l'heure de retourner en Argentine, à son Chaco natal, pour prendre soin de sa maman âgée et malade restée seule à la maison. C'est ce qu'elle fait maintenant, tout en gardant sans cesse ses antennes tournées en direction de la planète de tous les laissés-pour-compte de son pays et de sa chère Bolivie.

 

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1 Le MAS est le Mouvement vers le Socialisme du dirigeant populaire, Evo Morales, lequel deviendra Président de la Bolivie dans les mois suivants.

 

Eloy Roy

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