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L'AMOUR NE PEUT JAMAIS ETRE SEPARE DE LA COMPASSION

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Lc 16, 19-31

Pour la dernière fois, avec insistance, Luc nous parle de la richesse. Pour moi aussi, en matière de richesse, il est clair que nous ne changerons rien même si un mort ressuscite. La parabole est destinée aux pharisiens. L'évangéliste vient de dire « Entendant cela, les pharisiens amis de l'argent, se moquaient de lui. » S'appuyant sur les croyances acceptées par eux, il veut leur faire voir que s'ils croyaient véritablement en ce qu'ils prêchaient, ils ne seraient pas autant attachés aux richesses.

Cette parabole nous dit la même chose que Mc 25, 34-46: « J'ai eu faim et vous ne m'avez pas donné à manger, j'ai eu soif et vous ne m'avez pas donné à boire ». Il faut comprendre les deux choses à l'intérieur d'une vision mythologique de l'au-delà: récompense et punition dans l'au-delà, comme solution aux injustices d'ici-bas.

Utiliser ces textes pour continuer à parler d'une récompense pour les pauvres et d'un châtiment pour les riches dans l'au-delà, n'a aucun sens; à moins qu'on souhaite la résignation des pauvres pour qu'ils ne se révoltent pas contre l'injustice, permettant ainsi aux riches de continuer à jouir de leurs privilèges. Même s'il nous faut dépasser le langage de l'époque, le véritable message est toujours valable.

Pour comprendre pourquoi le riche, qui se nourrissait et s'habillait de ce qui lui appartenait, est jeté à l' «hadès » (pas notre enfer), il nous faut expliquer le concept de riche et de pauvre dans la Bible. Il n'existe pas dans l'Ancien Testament de concept purement sociologique de riche et de pauvre, parce que rien ne peut être séparé de l'aspect religieux.

Pour nous, « riche » et « pauvre » sont des concepts qui renvoient à une situation sociale. Le riche est celui qui possède plus que le nécessaire pour vivre et peut accumuler des richesses. Le pauvre est celui qui n'a pas le nécessaire pour vivre et se trouve vitalement dans le besoin.

Dans l'At, la perspective est toujours religieuse. Ce furent les prophètes, et parmi eux surtout Amos, qui posèrent la question et dénoncèrent les méfaits de la richesse. Leur raisonnement est simple: La richesse est toujours amassée sur le dos du pauvre. Le riche se fait le seigneur du pauvre. Mais pour un juif, l'unique seigneur est Dieu, donc le riche usurpe la seigneurie de Dieu et commet de ce fait une faute religieuse.

Dans l'AT, surtout à partir de l'exil, les pauvres étaient ceux qui n'avaient d'autre protecteur que Dieu. Il s'agissait des déshérités de ce monde qui n'avaient rien sur quoi appuyer leur existence, personne sur qui compter, mais continuaient à compter sur Dieu. Cette confiance était ce qui les rendait agréables à Dieu, qui ne pouvait pas les décevoir (Lazare: el « azar » en hébreu signifie Dieu aide).

Vous comprendrez maintenant pourquoi l'évangile suppose sans nuances que les richesses sont mauvaises. Il n'est pas dit qu'elle furent acquises injustement ni que le riche en ait fait mauvais usage, mais simplement qu'il les utilisait selon son bon plaisir. Si Lazare ne s'était pas trouvé à la porte, il n'y aurait rien eu à objecter. Mais c'est justement le pauvre qui par sa seule présence, emplit de malignité le luxe et les banquets du riche. Lazare ne se propose pas non plus comme un exemple moral de pauvre, mais comme contrepoint à l'opulence du riche.

Pour comprendre qu'il n'est pas facile de découvrir le véritable sens de l'évangile, il suffit de voir le

comportement de Jésus. Sans aucun doute montre-t-il une prédilection pour tous ceux qui avaient besoin de libération, et parmi eux les pauvres; mais il admet aussi la visite de Nicodème, il est ami avec Lazare, il accepte l'invitation de Mathieu, il accueille Zachée avec sympathie, il va manger chez un riche pharisien, etc.

Il n'est pas facile de découvrir les motivations profondes de la façon d'agir de Jésus. Jésus a découvert que la richesse accumulée et non partagée, empêche d'entrer dans le Royaumes des cieux; il l'a prêché sans y aller par quatre chemins. Mais son attitude n'excluait personne, elle était ouverte et accueillante envers les riches.

La clé du récit réside dans le fait que le riche n'a pas aperçu Lazare qui était à la porte avec les chiens (animal impur), même s'il semble en avoir pris conscience par la suite quand il le voit « dans le sein d'Abraham ». C'est là qu'il nous faut voir la pointe de la parabole. Nous vivons tellement enfermés dans notre hédonisme, que nous ne voulons pas voir la misère qui existe dans le monde. Alors qu'aujourd'hui il n'y a même pas besoin d'aller à la porte pour la découvrir, puisqu'elle s'introduit chez nous à toute heure par la fenêtre de la télévision.

Le message de l'évangile ne prétend pas résoudre un problème social, mais dénoncer une attitude religieuse erronée. Une attitude religieuse correcte résoudrait le problème social. L'évangile est à des années-lumière du capitalisme, mais du communisme aussi. Jésus prêche le « royaume de Dieu », qui consiste à faire de tous les hommes une communauté de frères.

La différence est subtile, mais essentielle. Le communisme distribue les biens, mais maintient le pauvre dans sa pauvreté pour continuer à se justifier. Jésus propose de partager comme fruit de l'amour qui nous unit. Le résultat serait le même: les riches cesseraient d'accaparer et les pauvres d'être pauvres, mais le chemin parcouru humaniserait autant le riche que le pauvre.

Il est sûr que le riche d'aujourd'hui distribuait ses faveurs et invitait à manger ses frères et ses amis riches comme lui. Cette attitude ne garantit aucune humanisation. L'amour chrétien n'est garanti que lorsque je fais quelque chose pour celui qui ne pourra me le payer d'aucune manière.

L'amour que demande Jésus ne peut jamais se séparer de la compassion. L'amour sans compassion est de l'intérêt. Un enfant n'a pas de compassion pour sa mère et c'est pour cela que ce qu'il ressent à son égard n'est pas de l' « amour » mais un intérêt radical car c'est par là que lui vient la vie. L'immense majorité des relations que nous qualifions d'amour, ne dépasse pas le niveau de l'intérêt égoïste.

Nous pouvons maintenant comprendre pourquoi se réfugier derrière l'incapacité de chacun à résoudre le problème de la faim dans le monde ne peut être une excuse pour ne rien faire.

Je le redis, il ne s'agit pas d'un problème social, mais religieux. Notre passivité démontre que la religion n'est qu'un écran de fumée qui tente d'ajouter quelque sécurité spirituelle aux sécurités matérielles qui nous tranquillisent.

Jésus ne te demande pas d'apporter une solution à la faim dans le monde, mais que tu ne commettes pas l'erreur de mettre ta confiance dans la richesse comme salut. Il ne t'est pas demandé de sauver le monde, mais que tu te sauves toi. Bon, si nous les riches cessions d'accaparer les biens, ils parviendraient immédiatement aux pauvres.

Je serais content si nous sortions tous d'ici convaincus que la pauvreté n'est pas un problème que quelqu'un doit résoudre, mais un scandale auquel nous participons tous et dont nous avons l'obligation de sortir.

Il ne suffit pas d'accepter de poser théoriquement le problème et de nous vouer à dénoncer les injustices qui se commettent aujourd'hui dans le monde. C'est ce que nous faisons tous. Il s'agit de découvrir que même en étant dans la plus stricte légalité quand j'accumule des biens matériels, cela ne garantit pas que ma relation avec les hommes et donc avec Dieu soit la bonne.

Il ne suffit pas que les riches soient dépouillés de leurs richesses, parce que les pauvres du moment prendraient immédiatement leur place. C'est ce qui est arrivé avec toutes les révolutions sociales. L'unique solution est celle que propose Jésus, qui peut en finir avec l'égoïsme et faire un monde fraternel.

Il est certain que les riches ne se considèrent pas comme les frères des pauvres, mais il n'est pas moins vrai aussi que les pauvres ne se considèrent pas comme les frères des riches. L'évangile va bien plus loin que la solution de quelques inégalités sociales, mais ces injustices seraient surmontées par un véritable amour-compassion.

Nous ne pouvons vivre notre religiosité sans tenir compte du pauvre. Notre religion a oublié l'évangile et développé un individualisme radical. Ce que chacun doit rechercher est une relation irréprochable avec Dieu. La morale catholique s'efforce de perfectionner cette relation. Pécher c'est offenser Dieu, un point c'est tout. L'évangile dit quelque chose de bien différent. L'unique péché c'est oublier l'homme qui a besoin de moi. Mon niveau de proximité avec l'autre est le niveau de proximité avec Dieu. Tout le reste est de l'idolâtrie.

 

Méditation-contemplation

 

« Ils ont Moïse et les prophètes, qu'ils les écoutent. ».

Il n'est pire sourd que celui qui ne veut pas entendre.

Tous ceux qui ont eu une grande expérience de l'homme nous ont prévenu;

mais nous n'écoutons que les sirènes de l'hédonisme.

 

Essaie d'aller un peu au delà des sens.

Instincts, appétits et passions ne sont pas mauvais, ils sont insuffisants.

Seuls te conduiront à la plénitude les exigences de ton être véritable.

Tu n'as à renoncer à rien, mais à choisir le meilleur pour toi, ici et maintenant.

 

Cesse d'orienter ta vie dans la perspective d'une punition ou d'une récompense.

Ici, maintenant, Dieu te donne des possibilités de plénitude.

Ne pas développer cette potentialité, voilà la vraie condamnation.

C'est toi, tout seul, qui a gâché ton existence.

 

Fray Marcos

(Trad. Maurice Audibert)

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