DIEU N'A PAS A FAIRE JUSTICE A LA MANIERE DES HOMMES
Fray MarcosLc 18, 1-8
Il est compliqué de commenter les lectures d'aujourd'hui, parce qu'il nous faudra en conclure littéralement le contraire de ce qu'elles disent.
La première: le mythe de l'élection. Le Dieu de Jésus ne peut être opposé à quiconque. Pour Dieu, Amalec est aimé à l'égal du peuple Israélite, quoiqu'en pensent les juifs.
La seconde: le mythe de l'inspiration. Toute l'Ecriture n'est pas utile à l'enseignement. Souvenez vous des paroles de Jésus: « On vous a dit...moi je vous dis... »
La troisième: le mythe de la justice divine. En aucune façon Dieu ne va faire justice à la manière des hommes, ni maintenant, ni plus tard, ni à celui qui le lui demande instamment, ni a celui qui ne le lui demande pas.
L'Ecriture est le fruit d'une expérience religieuse, mais elle s'exprime à travers des concepts qui correspondent à une vision mythique du monde. La comprendre et la juger à partir de notre mentalité, qui n'est plus mythique, fait que déformons le message. Il nous faut avoir le courage de séparer le message de l'environnement au sein duquel il a été transmis.
Notre théologie a été une tentative de transformer le mythe en logos. Rationaliser le mythe nous empêche de découvrir sa valeur et nous conduit à falsifier la vérité qui y est contenue. Ce processus qui a duré 20 siècles, on pouvait l'appeler mythologisation. C'est pour quoi, depuis Bultmann, on parle de démythologiser, pas de démythifier, parce qu'on ne peut démythifier le mythe, mais nous pouvons et devons extraire du mythe sa vérité qui n'est pas de l'ordre de la raison, et tenter de la formuler dans un langage compréhensible pour une vision du monde qui n'est plus mythique.
La modernité a commis l'erreur de brader la richesse incroyable de l'expérience religieuse, parce qu'elle a confondu l'emballage mythique où elle était présentée avec la vérité qu'elle prétendait transmettre. Nous avons jeté le bébé avec l'eau du bain.
Mais les religions, la nôtre surtout, fait toujours l'erreur ne ne pas vouloir abandonner l'emballage. C'est qu'après avoir si longtemps insisté pour maintenir le mythe à tout prix, elle n'a pas maintenant le courage de proposer la vérité séparée du mythe lui même.
Aujourd'hui aussi il est indispensable de prendre en compte le contexte pour comprendre le texte. Après le récit des dix lépreux que nous avons lu dimanche dernier, les pharisiens interrogent Jésus au sujet du moment où arrivera le Royaume de Dieu. Jésus répond par des affirmations sur ce Royaume et sur la dernière venue du Fils de l'homme. Dans la perspective de cette petite apocalypse, le récit d'aujourd'hui prend son sens véritable. Il ne s'agit pas de la prière en général, mais de la manifestation d'une espérance dans l'action définitive de Dieu à la fin des temps. Il ne s'agit pas d'éviter le découragement, mais du danger qu'il y aurait à tomber dans le désenchantement à cause du retard de la parousie. Souvenons nous que l'attente d'un final immédiat était le climat dans lequel a été vécu le premier christianisme.
Du point de vue de notre religiosité actuelle, la parabole du juge et de la veuve n'a pas d'application possible. Il ne s'agit pas seulement de ne pas confondre le juge inique avec Dieu. C'est que nous ne pouvons pas même nous attendre à ce qu'il fasse justice. Nous savons aujourd'hui que Dieu ne peut pas avoir maintenant une attitude, puis une autre dans une heure ou à la fin des temps. Dieu est toujours le même et ne peut chan pour modeler son attitude sur une demande. Nous n'avons pas à attendre la fin des temps pour découvrir la bonté de Dieu, mais il nous faut découvrir Dieu présent, y compris dans tous les malheurs, les injustices et
les souffrances que nous les hommes nous nous causons les uns aux autres.
Le sujet est d'une extrême importance parce que la prière, sous toutes ses formes, est l'une des manifestations religieuses qui en dit le plus long sur notre façon de comprendre Dieu et l'homme. Concrètement, ce que nous attendons de la prière de demande peut nous servir de test pour comprendre l'état dans lequel se trouve notre religiosité.
Avec tout son génie, Augustin nous a mis sur une voie sans issue en affirmant que la prière n'était pas efficace, quia malum, quia mala, quia male. Ce qui signifie: parce que je suis mauvais, parce que je demande de mauvaises choses, parce que je les demande mal. Raisonnement intenable, parce qu'ayant constaté que Dieu ne répond pas, nous nous arrangeons pour le laisser quitte du moment que nous sommes toujours les fautifs.
De façon moins lapidaire, je me risque à dire: si nous prions, en espérant que Dieu change la réalité: mauvais. Si nous attendons que les autres changent, mauvais, mauvais. Si nous demandons, espérant que Dieu change: mauvais, mauvais, mauvais. Et si nous finissons par croire que Dieu a tenu compte de moi et m'a accordé ce que je lui demandais: totalement mauvais.
N'importe quelle argutie est valable, du moment que nous ne nous voyions pas obligés de faire la seule chose possible et qui de plus est entre nos mains: changer, nous.
Ce n'est pas la tâche de Dieu que d'accorder la justice humaine, et la justice divine se réalise à chaque instant. Pour Lui, tout est en ordre à tout moment. Il n'a à rétablir aucun équilibre, parce que pour Dieu, l'homme injuste se nuit à lui même dans la même mesure où il nuit à l'autre. Mais de plus, celui qui est objet d'injustice ne sera pas affecté dans son être véritable s'il ne se laisse pas entraîner par la même injustice.
La justice de l'homme s'impose grâce au pouvoir judiciaire. Lorsque nous demandons à Dieu de faire « justice », nous lui demandons d'agir comme les puissants. Aussi nombreux soient les méfaits commis, Dieu ne peut agir contre personne. Dieu est toujours avec les opprimés, mais jamais pour leur accorder la revanche contre les oppresseurs. Voilà la clé pour comprendre le Dieu de Jésus.
Dans la Bible, »faire justice » c'est libérer l'opprimé. Aucune action n'était plus que celle ci le propre de Dieu. Le peuple d'Israel interprétait les évènements favorables comme des actions de Dieu en sa faveur. Mais quand les choses allaient mal, ils devaient en conclure qu'ils n'avaient pas été fidèles à l'Alliance.
La vérité est que face aux plus grandes injustices passées et actuelles, Dieu se tait. Il est très difficile d'harmoniser ce silence de Dieu avec l'insistance sur l'efficacité de la prière. Dieu ne peut faire justice, comme nous l'entendons nous humains. Quelque chose doit changer dans ce discours si on veut échapper au ridicule.
On ne parle pas de la prière en général, mais d'une prière très concrète: la demande de justice pour les opprimés. Nous ne devons pas attendre l'action ponctuelle de Dieu, mais découvrir sa présence en chaque événement et en chaque situation.
Il est bien plus important de savoir supporter l'injustice que de parvenir à notre justice. Il est bien plus important d'être toujours des « justes » que d'obtenir justice d'autres personnes. La justice de Dieu est une attitude permettant de découvrir tout ce que je peux attendre du moment présent, sans que Dieu n'ait rien à faire, et encore moins à me donner un coup de main.
Je ne prie pas pour que Dieu écoute ma prière, mais pour l'entendre, moi, et me donner l'occasion d'aller plus loin dans la connaissance de mon être profond. Tout cela me conduira à donner sens au non-sens apparent.
Le silence de Dieu m'oblige à aller plus loin dans la réalité qui me dépasse et à chercher la véritable issue, non pas l'issue facile d'une solution extérieure au problème, mais la recherche du véritable sens de ma vie en cette
circonstance. Ma justice, c'est à moi de la faire chez moi. L'injustice d'autrui ne doit pas me rendre injuste, moi.
La fin du récit est déconcertante: « Mais quand viendra le Fils de l'homme, trouvera-t-il la foi sur la terre? ». Il semble que ça n'ait pas de rapport, parce que faisant référence à la finale du chapitre antérieur, où l'on parlait de la dernière venue du Fils de l'homme. Ce chapitre 18 commence en disant que la parabole avait pour objectif d'enseigner aux disciples comment ils devaient prier sans se décourager. Une fois de plus, c'est la foi-confiance qui est en jeu. Une fois de plus, prière et foi-confiance se révèlent inséparables.
Le doute de Jésus ne vise pas Dieu, mais les hommes. Dieu ne peut nous laisser tomber, c'est nous qui laissons tomber les espoirs que nous mettons en Lui.
Une fois encore on aperçoit les grandes difficultés de compréhension de la réalité traversées par la communauté au moment de la rédaction de l'évangile.
Méditation – contemplation
La plénitude de la justice c'est l'abnégation absolue et totale.
Cela n'a rien à voir avec notre justice.
Vue sous cet angle, la plus grande injustice est compatible
avec la plénitude humaine la plus absolue.
Jésus est parvenu sur la croix à la plénitude humaine car
il s'est identifié totalement avec Dieu.
C'est là sa plus grande gloire.
C'est le chemin qu'il a indiqué à tout être humain.
Se donner totalement est le but le plus haut que l'homme puis atteindre.
Notre justice est sans cesse mêlée de vengeance.
Ma plénitude n'est pas dans la déroute de l'ennemi.,
mais à me laisser vaincre pour demeurer dans l'amour.
C'est ça, l'Evangile. Qui peut y croire?
Fray Marcos
(Traduction M. Audibert)