TOUS SAINTS ET PECHEURS
Fray MarcosJe dois dire d'emblée que je me sens absolument incapable de voir quel rapport a le sens que donne la liturgie à cette fête avec le message évangélique. Dans la collecte il est question des « mérites de tous les saints » et de la « multitude d'intercesseurs ». L'évangile de dimanche passé ne disait-il pas que le pharisien tout imbu de ses droits, n'était pas sorti justifié du temple? Cette interprétation de la sainteté comme supériorité morale n'a rien à voir avec l'évangile. Et les intercesseurs sont-ils meilleurs que Dieu et nous aiment-ils davantage?
Voilà maintenant quelques années que je done à cette fête le titre de « tous les saints ». J'ajoute aujourd'hui les mots « et de tous les pécheurs » parce qu'on pourrait le comprendre mal. Entendre le pape dire à plusieurs reprises « je suis un pécheur », m'a beaucoup poussé à cette nuance. Bien sûr que le pape ne veut pas dire qu'il vole, tue ou fait d'autres horreurs. Ce qu'il fait c'est manifester la finesse de sa spiritualité, laissant entendre qu'il existe encore un abime entre ce qu'il est et ce qu'il devait être. Luther avait déjà développé cette idée qui lui valut beaucoup de critiques.
L'idée que nous nous faisions du mot « saint » est en train de changer. Changement auquel a contribué grandement l'institution ces dernières années par son ardeur à béatifier jusqu'à des centaines de gens. Or une inflation entraîne toujours une dévaluation. Et puis, les méthodes utilisées lors des procès de béatification n'ont pas toujours été authentiques ni convaincantes. La preuve: les procès qui réussissent sont ceux qui ont pour eux une institution influente et l'argent à volonté.
Ce que nous avons dit à propos du pharisien et du publicain peut s'appliquer aujourd'hui. Le saint n'est pas un parfait mais un pécheur qui reconnaît le besoin qu'il a d'un Dieu qui l'aime sans mérite de sa part. Ce n'est que lorsqu'on se sent pécheur que l'on est près de Dieu.
Un être humain ne peut se sentir pécheur que dans la mesure où il est un saint. Le saint ne découvrira jamais qu'il l'est. Que personne ne cède à la la tentation d'aspirer à la perfection, à la « sainteté ». N'aspirez qu'à être chaque jour plus humains, en déployant l'amour que Dieu a mis dans votre être.
Dans la célébration d'aujourd'hui, nous ne devons pas penser aux « saints » canonisés, ni à ceux qui ont pratiqué « l'héroïcité des vertus », mais à tous ceux, hommes et femmes, qui ont découvert et manifesté la marque en eux du divin, même sans avoir pensé à la sainteté. Il ne s'agit pas de célébrer les mérites de personnes hors du commun, mais de reconnaître la présence de Dieu le seul Saint, en chacun d'entre nous. A Dieu revient le seul mérite.
De tous temps ont existé et continuent d'exister des personnes qui, découvrant leur être authentique, ont été capables de se donner aux autres, faisant ainsi un monde plus humain. Dans ce monde il y a place aussi pour l'optimisme, parce que les gens, dans leur immense majorité, sont des « bonnes personnes », qui tentent par tous les moyens de faire que les autres soient heureux. Ce qui ne veut pas dire qu'ils n'essuient pas des échecs. L'une des attitudes qui nous humanisent le plus est justement celle qui consiste à accepter les limites, en nous mêmes et chez autrui. Jésus n'exigeait pas la perfection de la part de ses adeptes, il leur demandait seulement de découvrir l'amour, qui est Dieu en eux.
Nous sommes tous appelés à être des saints. Cela ne doit pas nous faire peur, car il ne s'agit pas d'exiger de nous la perfection, mais de découvrir le Parfait identifié avec chacun de nous. Ce qui pourrait signifier qu'il nous faut découvrir ce qu'est Dieu, au plus profond de notre être. Ne pas penser à un Seigneur super parfait auquel nous devrions ressembler. Nous obliger à imiter Dieu nous a plongés dans la misère la plus absolue parce que, tant que nous sommes humains, personne ne peut
être parfait. Nous en arriverions à cesser d'être humains, ce qui souvent été le cas.
En cette fête, où que nous nous trouvions, nous célébrons la bonté. C'est une fête de l'optimisme, car, quoiqu'en disent les journaux télévisés, il y beaucoup de bien dans le monde si nous savons le découvrir. Il est vrai qu'une seule personne qui joue du tambour fait plus de bruit que mille autres qui se taisent. Nous sommes accablés par le vacarme que fait le mal et nous ne pouvons plus découvrir le bien qui est bien plus fort et plus étendu que le mal.
Aujourd'hui c'est le jour de l'optimisme. La Vie et le Bien l'emportent sur la mort et le mal. Vue sous cet angle la vie vaut toujours la peine. Car cette joie de vivre, il nous faut la maintenir en dépit de tant de souffrance et de douleur présentes en notre monde. Malgré le fait que beaucoup d'être humains,passent leur vie sans réaliser ce qu'ils sont, se contentant de végéter comme les plantes ou d'en rester au niveau des sens comme les animaux.
La sainteté consiste en la possibilité que me donne Dieu de lui ressembler parce qu'il est au plus profond de moi comme une force agissante. Dans la mesure où je prends conscience de cette réalité, je commence à agir conformément à cette exigence. Remarquez bien que nous disons le contraire de ce qu'on nous a appris: si tu veux être saint, tu dois faire ceci et ne pas faire cela, toujours de façon héroïque, parce que ce qu'on exige de moi c'est ce qui me coûte et ce qu'on m'interdit, c'est ce qui me plait.
Très significatif le fait que « le peuple » (l'Eglise) ait identifié cette fête de « tous les saints » avec celle de « tous les défunts » au point que pour beaucoup c'est une seule et même fête. Il nous faudrait prendre conscience de cette réalité parce que les deux fêtes prendraient leur véritable sens. Ce sont des fêtes de souvenir et de remerciement. Est-il concevable que quelqu'un ne considère pas sa propre mère comme une sainte? Toute mère donne le meilleur d'elle même pour ses enfants, et ce don est saint. Voilà ce qui nous oblige à penser qu'une mère ne meurt jamais, parce que ce qu'elle a donné continuera à nous parvenir malgré qu'elle ne soit plus là.
Tentons de découvrir cet avenir à partir de Dieu. Pourquoi nous efforçons nous d'imaginer au au delà conforme à notre situation actuelle? Vouloir que perdure notre condition de créature limitée n'a guère de sens et de plus est impossible. Ce qui est contingent est par nature périssable. La seule chose qui reste de nous est ce que nous avons de transcendant. L'éternité n'est pas une interminable succession de temps, mais un instant définitif dans ce que nous sommes déjà. L'éternité n'est pas le contraire du temps, mais un climat auquel nous pouvons accéder même en étant dans le temps.
Quelqu'un a dit: aimer c'est dire à l'autre, tu ne mourras pas. Si celui qui aime est Dieu, il nous dit: tant que je vivrai, c'est à dire toujours, tu seras là. Le point par lequel nous pouvons être en connection avec Dieu, nous rend éternels. Ce point-là ne peut être le matériel, le biologique, le caduc, mais le transcendant. Je resterai vivant dans la mesure où je renonce à mon faux moi. « Si le grain de blé ne meurt pas, il reste infécond, mais s'il meurt il donnera beaucoup de fruit ».
Chaque fois que nous lisons « vie éternelle » dans l'Ecriture, il faut comprendre « Vie définitive ». Il ne s'agit pas de la vie de l'au delà, mais de l'aspect plus intéressant de la vie d'aujourd'hui. Le jour où nous nous souvenons de nos êtres chers, il est très important de ne pas tomber dans des rêveries sensibles qui nous placent dans des impasses. Je ne vais pas me trouver physiquement avec eux, ni voir ma mère ou mon enfant; par contre je puis vivre sa présence dans la mesure où il transcende la matière et se trouve dans l'Esprit, identifié avec Dieu. En vérité, ils sont beaucoup plus proches de moi qu'au moment où je pouvais les voir et les toucher.
Fray Marcos
(Traduction Maurice Audibert)